Voyage à la rencontre des familles nomades de Mongolie. Octobre 2019.
Terre d’accueil de nombreuses ethnies au fil des siècles, la Mongolie est aussi la demeure d’une communauté kazakhe aux traditions ancestrales : les Berkutchis. A l’extrême ouest du pays dans la province de Bayan-Ölgii, ce peuple nomade pratique la chasse avec l’aigle royal, un savoir transmis de génération en génération depuis plus de 2000 ans. Chaque année avant la période de chasse hivernale, les Berkutchis se rassemblent pour s’affronter au cours de plusieurs compétitions, notamment lors des festivals de Sagsai et d’Ölgii.
Fasciné par les peuples qui ont conservé un mode de vie millénaire, je me suis rendu dans cette province avec l’espoir de rencontrer cette communauté et d’en tisser le portrait. Être témoin du lien sacré qui unit un maître à son aigle, assister aux entraînements et aux festivals, partager un repas, chanter et coucher sous la toile d’une yourte... chaque instant passé aux côtés des chasseurs aura été d’autant plus marquant que ces traditions tendent à disparaître. Célébrons, autant que possible, ce lien qui unit l’Homme, l’animal, et sa terre.
Film
Ces quelques instants passés aux côtés des chasseurs, à découvrir leur mode de vie, témoigner du lien sacré qui unit un maître à son aigle, assister aux entraînements, aux festivals, et à toutes ces scènes de vie, sont d'autant plus marquants quand on sait que ces traditions tendent à disparaître. Une célébration du lien qui unit l'Homme et l'animal à sa terre.
Récit photographique
Départ en vue
C’est dans la province occidentale de Bayan-Ölgii, que le périple commence. Cette région de montagnes, de steppes et de glaciers partagée avec la Russie, la Chine et le Kazakhstan, est traversée par les chaînes de l’Altaï. Ces terres sont habitées majoritairement par une population musulmane baignée dans la culture kazakhe : en effet, les Kazakhs de Mongolie s’y sont implantés vers la fin du XVIIe siècle, suite à une vague migratoire. Depuis, ils se transmettent de générations en générations leur mode de vie et leurs traditions ancestrales.
Au départ de Ölgii, capitale de la province installée dans le creux des montagnes, c'est d'abord en direction du plus grand glacier de Mongolie que je m'apprête à partir, celui qui culmine à plus de 3000 mètres d'altitude : le glacier Potanine. Mais avant cela, je dois trouver un guide et obtenir le permis frontalier qui me permettra d’approcher les frontières russes et chinoises.
Moka, guide local qui habite Ölgii, accepte de se lancer dans ce périple avec moi, non sans risque : là où nous allons, la possibilité de réapprovisionnement en nourriture et essence est pratiquement inexistante, les télécommunications ne passent pas, sans parler des sentiers défoncés qui ne sont empruntés que par des conducteurs chevronnés en gros 4x4, sur lesquels aucune assistance ou moyen de remorquage n’est envisageable en cas d’incident. C’est la seconde fois qu’il accepte de s’embarquer dans la voiture d’un voyageur, au contraire des tours classiques pendant lesquels il guide les touristes à bord d’un fourgon alors conduit par un conducteur local et expérimenté. En partant ainsi avec moi, le pourcentage qu’il touche de la somme que je verse à l’agence triple : n’est-ce pas là une raison suffisante pour laisser la Lada se reposer dans un parking et choisir l’option que tout le monde prend ? Sûrement pas, cette fidèle Lada a déjà surmonté bien des épreuves depuis qu’elle a quitté la côte Atlantique, alors ce n’est pas maintenant qu’elle flanchera. Et puis, sans risque, peut-on parler d’aventure ?
En route pour le glacier Potanine
Avec un jour de retard, je récupère les deux permis frontaliers à la base militaire de Ölgii : un pour Moka et l'autre pour moi. Les militaires nous expliquent qu'ils avaient suspendu temporairement l'attribution de permis, suite à la disparition d'un touriste américain parti s'aventurer seul sur le glacier Potanine. Nous avons prévu un tour de 6 jours dans les steppes, j'en achète alors pour 8 jours de nourriture pour deux personnes.
Cartes de navigation téléchargées, batteries rechargées, réservoir d’essence ainsi que deux bidons de 40 L remplis, et cartons de nourriture en vrac à l’arrière, nous quittons la ville et ses routes goudronnées, pour se retrouver en un rien de temps sur les pistes mongoles, slalomant entre elles dans une direction commune.
Sur le chemin, je croise régulièrement des troupeaux sauvages de chameaux, chevaux et yacks. Ensemble ils donnent vie à ces espaces lunaires et infinis, où le temps semble s'être arrêté. Encore à proximité de Ölgii, quelques bourgades aux baraques en pierre se présentent sur notre route. D'abord Ulaankhus, puis Tsengel, et enfin plus rien. Les derniers signes de civilisation sont derrière nous. Les sentiers virent rapidement au cauchemar. Rochers, passages boueux, fossés, cours d'eau : les obstacles sont de plus en plus fréquents, à force de grimper en altitude. Jamais encore la Lada n'avait eu à surmonter de telles épreuves.
En quelques heures, j'atteins la rivière blanche Tsagaan Gol qui prend sa source au glacier Potanine : ainsi il me suffit de remonter le cours d'eau. Au bout du sentier se trouve un campement, point de départ de l'ascension du glacier.
Les familles installées ici se déplace à cheval et vivent essentiellement de l'élevage de yacks et de chèvres par leur laine, cuir, viande, lait et beurre. Les bouses séchées de yacks sont utilisées comme combustible afin de réchauffer l'intérieur de leurs habitats traditionnels : les yourtes. Installées au bout du sentier, les familles proposent aux voyageurs un abris la nuit, un souper et un cheval pour l'ascension jusqu'au glacier en échange d'une modique somme. Le lendemain après 3h d'itinérance à cheval, j'atteins le glacier Potanine, alors balayé par un vent polaire.
Rencontre avec les aigles chasseurs
A une centaine de kilomètres du glacier, dans une zone marécageuse et difficile d'accès proche de Sagsai, certaines familles nomades pratiquent un art à part entière : la chasse à l'aigle royal, appelée Berkutchi. Cette tradition vieille de 2000 ans se transmet de génération en génération au sein du peuple nomade Kazakh. Aujourd’hui ce sont environ 250 aigliers qui vivent dans la province de Bayan-Ölgii et qui s’engagent à perpétuer cette activité en transmettant leur savoir-faire.
A mon arrivée dans la famille, je découvre un de leurs aigles royaux : une femelle de 5 ans. Les nomades préfèrent les aigles femelles pour chasser, car plus imposantes et plus féroces que les aigles mâles. À l’âge adulte, leur envergure peut atteindre 2.20 m, pour un poids de 10 kg. Quand ils partent à la chasse, le maître monte sur son cheval accompagné de son aigle posé sur l’avant-bras. Ils traquent alors ensemble en pleine nature les lièvres, lapins, marmottes, lynx, renards, et quand l’aigle repère sa proie, son maître le libère pour qu’il puisse la pourchasser. Une fois le gibier attrapé, le chasseur donne un morceau de viande crue à son fidèle compagnon tout en détachant ses griffes de la proie pour que la fourrure de l'animal ne soit pas abimée.
Quand l’aigle n’est pas en activité, ses pattes sont attachées à un perchoir en forme de trépied, le tughir, et la plupart du temps un masque lui est enfilé sur la tête pour ne pas qu'il tente de s'envoler.
Le domptage de l’aigle royal est une tâche complexe et nécessite beaucoup d’années d’expérience et de patience.
En règle générale, le dressage de l’aigle commence quelques mois après sa naissance, alors qu’il ne sait encore ni marcher ni voler. Son maître le nourrit régulièrement avec de la viande crue, et lors de son entraînement, l’aiglon commence par apprendre à se tenir en équilibre sur le bras de son maître. Ensuite, il s’entraîne à attraper un appât tiré à l’arrière d’un cheval, et lorsqu’il atteint sa cible, son maître le récompense avec de la viande crue. A la fin du dressage, l’aigle doit dépendre totalement de son maître pour se nourrir. Chaque année, le maître donne à son aigle un nouveau nom, et au bout du 12ème nom il lui rend sa vie sauvage. Il peut alors vivre encore une vingtaine d’années et trouver un partenaire pour se reproduire.
Afin de faire perdurer cette coutume et ce mode de vie ancestrale, la responsabilité revient au plus jeune des garçons de prendre la relève de son père et de devenir aiglier. Comme il est impossible de savoir qui sera le dernier garçon tant que la famille continue d'avoir des enfants, le père apprend alors à tous ses garçons à devenir chasseur à l’aigle.
Lorsqu’ils s’entraînent ou chassent, ils se revêtent de leur tenue traditionnelle en peau de vache, de leur coiffe, et d’un gant épais pour protéger leur bras des griffes de l’aigle.
Une fois monté à cheval, le chasseur récupère l’aigle qui s’agrippe sur son avant-bras, qu’il place alors dans le creux d’un support en bois en forme de Y reposant sur le dos du cheval. Pour prendre la pose, il soulève l’aigle dans le ciel quelques secondes, et le déstabilise légèrement, l'obligeant à déployer ses ailes pour ajuster son équilibre. En cette soirée sublimée d'un ciel ténébreux, je rencontre Adaskhan et son fils Eboka, tous deux chasseurs. Au sein de la famille, ils se transmettent depuis plus de 200 ans les coiffes et tenues traditionnelles des anciens.
Demain, c’est le festival des aigles à Sagsai : les chasseurs vont s’y affronter sur plusieurs épreuves. Pour se préparer au mieux, Adaskhan et son fils exercent le rôle de maître et de lanceur chacun leur tour. Le père dans le rôle de maître remet son aigle à son fils, puis s’éloigne à cheval d’une centaine de mètres, un appât en main.
Son fils dans le rôle de lanceur, escalade un abri, aigle au bras, pour se placer en hauteur. Une fois tous deux prêts, le fils ôte le masque du visage de l’aigle et l'invite à s’envoler en tendant légèrement son bras. Au même moment, le père appelle de toute ses forces son aigle, brandissant le morceau de lièvre dans les airs.
L’aigle, qui repère l’appât et entend les cris de son maître, quitte le bras du lanceur et sillonne le ciel en direction de son maître, atterrit sur son avant-bras, et déguste le morceau de lièvre promis.
Festival des aigles de Sagsai
Aujourd’hui, 29 septembre, c’est le festival de Sagsai, organisé par les familles locales. Cette année comme chaque année, une trentaine d’aigliers se retrouvent au pied de la montagne du chasseur pour s’affronter lors d’épreuves. Tandis que les familles viennent encourager leurs membres qui y participent, les voyageurs eux sont invités à y assister gratuitement. Il est 10h, le festival commence.
Tout comme à l’entraînement la veille, chaque maître remet son aigle à un lanceur de confiance. Une moitié du groupe gravit la montagne du chasseur tandis que l’autre moitié s’éloigne à cheval. Cette fois, c’est à plus de 50 mètres en hauteur que les lanceurs se placent pour libérer les aigles. Quand c’est leur tour, les maîtres attachent aux pieds de leur chevaux une carcasse de lièvre. Dès l’instant où le lanceur ôte le masque du visage de l’aigle, le maître traîne la carcasse et appelle son aigle de toutes ses forces. Tout est chronométré : l’intervalle de temps avant que l’aigle s’envole, le temps qu’il met ensuite pour rejoindre son maître. Parfois, l’aigle ne s’envole pas ou n’atteint pas sa cible, le maître est alors pénalisé.
Une fois l’épreuve terminée, s’enchaînent trois défis qui se déroulent au pied de la montagne.
Le premier, appelé Kokpar, requiert à la fois une excellente adresse et une poigne de fer : à cheval, les deux adversaires se disputent une carcasse de chèvre en attrapant chacun deux pattes. Celui qui parvient à se l’accaparer remporte le duel et marque des points.
Le second, appelé Kyz Kuar, est une sorte de course à cheval dans laquelle la femme tente de rattraper au galop son compagnon afin de le fouetter.
Enfin, pour le troisième et dernier défi appelé Tiyn Teru, les cavaliers s'alignent à l’horizon tandis que les organisateurs placent au sol deux fleurs artificielles espacées d’une vingtaine de mètre. Un par un, ils s’élancent au galop, et tentent alors d’attraper la première fleur au sol, puis de se redresser pour attraper la deuxième fleur en se penchant de l’autre côté. Sur une trentaine de cavaliers, un seul est parvenu à réaliser cet exploit.
Les épreuves terminées, tous les chasseurs se rassemblent et les juges appellent le vainqueur ainsi que les quatre suivant pour leur remettre chacun un prix. Entre musique et danse, le fils de Adaskhan est appelé par les juges : il obtient la 5ème place du festival !
Une nuit aux côtés des chasseurs
Les chasseurs repartent comme ils sont venus, à cheval et leur aigle au bout du bras, tandis que je retourne chez la famille. Chez la plupart des familles nomades, deux yourtes sont installées : une pour la famille dans laquelle ils cuisinent, mangent, se réchauffent et dorment, et l'autre pour accueillir les voyageurs occasionnels, en échange d’une modique somme (environ 6€ la nuit).
Ici, la famille vit en autarcie : les lampes et appareils électroniques sont alimentés par une batterie rechargée par un panneau solaire ; de leur troupeaux de vaches, chèvres et chevaux sont fourni viande, lait, graisse, cuir, afin de remédier à l'alimentation de la famille, mais aussi à la fabrication de la yourte, de vêtements traditionnels, d’outils... ; la bouse de vache séchée qu’ils placent et brûlent dans la cage au centre de la yourte leur permet de se réchauffer et de faire chauffer la nourriture, bouillir l’eau… Au sein de la famille, les tâches sont bien définies : la femme a comme responsabilité de s’occuper de la cuisine, du ménage, des enfants et de la traite des troupeaux jusqu’à cinq fois par jour. Le mari, lui, doit surveiller les troupeaux, les protéger des loups, entretenir le matériel et être en mesure d'accomplir des réparations.
Ce soir est une soirée spéciale, car le fils a obtenu la 5ème place au festival. Le père m'invite donc à le rejoindre lui et ses compagnons de chasse à fêter la clôture du festival et le classement de son fils dans la yourte familiale : chants traditionnels, danses, et alcool local. Pendant ce temps, les enfants regardent des films d'animation muets que je projette sur la paroi blanche interne de ma yourte.
Le lendemain matin avant mon départ, la famille se rassemble devant la yourte familiale pour une photo.
Sur les traces des nomades de Tavan Bogd
En route pour le parc de Tavan Bogd, les familles nomades se font de plus en plus rares : elles sont sur le départ.
Vivant en autarcie, la survie de la famille dépend de la bonne santé des troupeaux. Plusieurs fois au cours de l'année, en fonction des besoins des troupeaux et de l'état des pâturages, les familles nomades déplacent leur camp de yourtes. L'été, elles choisiront alors un emplacement riche en pâturage proche d’une rivière, pour assurer l'approvisionnement en eau de la famille et des troupeaux. Tandis qu’aux dernières lueurs de l’automne, la priorité est de se protéger contre le froid glacial de l'hiver Mongol, au cours duquel les températures chutent régulièrement sous les -20°C. Les nomades se déplacent alors à l'abri du vent glacial et meurtrier dans un petit vallon ou en bordure de forêt. Afin que les troupeaux se tiennent chauds pendant la nuit, de petits enclos sont construits pour contenir les bêtes.
Pour ceux qui se sont installés l’été en altitude, l’hiver est plus précoce. Aussi, dés septembre, ces nomades démontent, rangent leur yourte et descendent dans la vallée : il ne reste plus qu’une trace au sol en forme de cercle en guise de leur passage. Ils reviendront au même emplacement avec leur troupeau six mois plus tard, aux alentours de mars.
Après environ 8h de conduite, j'arrive de nuit dans le parc de Tavan Bogd au bord des lacs jumeaux. Moka, mon guide, est inquiet quant à l'idée que les familles nomades soient déjà parties. Heureusement, nous apercevons au loin de la lumière qui semble émaner d'une habitation : il s'agit d'une maisonnette en bois. A l'instant où je me gare devant, un autre véhicule fait de même. Nous arrivons en fait au début d'un grand repas de famille ! La maîtresse de maison nous invite alors à souper avec eux, puis à rester dormir dans la pièce à vivre en échange d'une modique somme. Avec toute la reconnaissance qu'on leur doit, nous acceptons et sans plus attendre on nous dispose deux tabourets dans un coin de la table à manger, au milieu de laquelle un plat géant rempli de pommes de terre et de viande de cheval est à portée des mains de tous. Un cheval par an et par famille, c'est la tradition.
Une semaine en famille à Ölgii
Après ces 8 jours passés dans les steppes à la rencontre des nomades avec mon guide, Moka m’invite chez lui à rencontrer sa famille qui vit à Ölgii.
Son grand frère Bakitjan, père de famille, est si heureux de le revoir sain et sauf qu’il m’invite à passer une semaine chez eux. Je me calque alors sur leur mode vie : lever à 08h, thé-au-lait time à 09h, puis 13h, puis 17h et enfin 21h, une toilette par semaine dans les douches communes du quartier comme les maisons n’en sont pas équipé.
Bien qu’ils soient sédentaires, ils préservent une part de nomadisme : jusqu’à l’arrivée de l’hiver, ils cuisinent et mangent dans une petite baraque à l’extérieur de la maison principale, avant de finir par déménager chaises, tables, ustensiles de cuisines et meubles à l’intérieur de la maison dans le salon. Parfois en été ils installent une yourte sur leur terrain et y vivent pendant quelques semaines. Ils possèdent trois vaches et quelques chèvres, que la grand-mère traie chaque jour autant de fois qu’il le faut pour remplir de lait deux ou trois bols de chaque membre de la famille à toutes les pauses thé de la journée.
L'hospitalité mongole est telle que malgré mon insistance, je ne suis pas parvenu à empêcher Bulbul, la fille de Bakitjan, de me donner sa chambre et son lit pour la semaine. Tout ce que j'ai pu faire, c'est lui installer et lui gonfler un de mes matelas dans la pièce des invités et lui donner un sac de couchage. Aussi, j'ai rapidement compris que proposer mon aide pour quelconque tâche qu'il soit était systématiquement retourné. Pour y parvenir, je demandais alors si je pouvais essayer de cuisiner, essayer de peindre les murs, etc. Ainsi, ils me répondaient toujours : mais bien sûr !
Bakitjan, 45 ans, a la voix roque et le cœur tendre.
Grand frère de mon guide Moka, il est conducteur tout comme son père l’était. Ayant appris à conduire à 12 ans, il est bien lancé pour être élu meilleur conducteur de Mongolie, titre que son feu père a décroché en 2004 pour ses 31 années de service. "Ok ma ?", me demandait-il chaque fois qu'il me voyait
Kokei, la mère de Bakitjan et Moka, est une vraie force de la nature.
A 69 ans, elle gère avec une énergie inépuisable la maison familiale avec l’aide de ses petites filles. Chaque jour et dès 07h, elle traie les vaches pour récupérer le lait que la famille boit avec du thé. Seule la journée, elle investit tout son temps sans répit dans les tâches ménagères.
Moka, 25 ans, est celui qui m’a accompagné et guidé dans les steppes pendant ce périple.
Après avoir terminé le lycée, il est parti étudier la géographie et le tourisme à l’université à Ulan-Bator, la capitale. Une fois diplômé, il est revenu à Ölgii où il exerce depuis la profession de guide. C’est par l’intermédiaire de l’agence Blue Wolf Travel que j’ai pu le rencontrer.
Bulbul, 15 ans, est la fille de Bakitjan.
A son retour de l’école elle investit presque tout son temps dans les tâches ménagères : rangement, dépoussiérage, cuisine, service, vaisselle, feu, toujours avec le sourire. Malgré la centaine de dumpling (raviolis mongoles) que j’aurai confectionnée avec elle, je ne serai finalement jamais parvenu à reproduire son style, si parfait et inégalable.
Nurjan, 24 ans, est le grand frère de Bulbul et premier neveu de Moka.
Habitant à Almaty la capitale du Kazakhstan, il est arrivé la veille de mon départ à l’occasion du jour de deuil du grand-père, parti il y a 8 ans. La famille voulait absolument que je le rencontre avant de poursuivre mon chemin.
Karlygash, 12 ans, est la petite dernière.
Malgré son jeune âge, ses journées sont déjà bien chargées : à son retour de l’école, tout comme ça grande sœur Bulbul, elle passe une grande partie de son temps à aider sa grand-mère dans les tâches ménagères.
Festival de l'aigle d'or de Ölgii
Avant de quitter Ölgii pour Ulan-Bator, j’assiste au plus grand festival annuel des aigles qui se déroule le 5 et 6 octobre : le Golden Eagle Festival.
Pendant ce festival organisé par l’état et qui accueille de plus en plus de visiteurs étrangers, tous les chasseurs sont invités à participer et reçoivent une somme d’argent en échange. Tous viennent en famille à cheval avec leurs aigles, habitant parfois à une cinquantaine de kilomètres.
Le festival commence par une cérémonie, pendant laquelle une centaine de chasseurs défilent à cheval sous les chants traditionnels mongoles et les applaudissements. Au sol, des milliers de pierres blanches forment quatre cercles d’une quinzaine de mètres de diamètre, chacun espacés d’environ dix mètres et alignés en direction d’une montagne, le cercle le plus proche étant à une centaine de mètres du pied. A côté de chaque cercle, d’autres pierres forment les nombres 6, 8, 8 et 10, par ordre de distance croissante au pied de la montagne.
L’épreuve majeure du festival peut commencer : tout le monde s’écarte du terrain. Les maîtres confient leurs aigles aux lanceurs qui grimpent la montagne. Cette fois, c’est à une centaine de mètres en hauteur qu’ils se placent, surplombant toute la vallée. Les uns après les autres, ils ôtent les masques des aigles.
Le maître, à cheval dans le cercle le plus proche qui vaut 6 points, appelle son aigle, un appât en main. Dès l’envol, le maître analyse attentivement le comportement de son aigle : l’objectif pour lui est de se trouver dans un cercle qui attribue le plus grand nombre de points, au moment où l’aigle se pose sur son avant-bras.
S’il ne se trouve dans aucun cercle, alors il ne gagne aucun point. Ainsi il s’agit de trouver le bon rythme dans ses déplacements pour se rapprocher des cibles éloignées à hauts points sans perdre l’attention de l’aigle, puis sur les dernières secondes galoper le plus vite possible pour tenter d’atteindre le graal : le cercle à 10 points.
Une longue traversée
Entre Ölgii et Ulan-Bator, une seule route traverse l’infinitude des steppes sur plus de 1600 km. Il y a à peine dix ans, seuls des sentiers de terre reliaient les deux villes : leurs traces sont toujours présentes au côté de la route. Ici aussi, les nomades ont quitté leur campement, il est fréquent de trouver les marques au sol des yourtes.
Entre Ulan-Bator et Dalanzagdad, en direction du désert de Gobi, une étrange formation rocheuse sépare la terre en deux. Surnommée Tsagaan Suvarga, qui signifie « stupa blanc », en raison de son apparence à une ville en ruine. Elle bordait autrefois un immense lac. Haute d’une cinquantaine de mètres, l’érosion par le vent et l’eau ainsi que sa composition en différents minerais lui donnent ses formes et couleurs uniques.
Désert de Gobi et les dresseurs de chameaux
Le désert de Gobi se situe au sud de la Mongolie. Les dunes de sable, Khongoriin Els, s’étendent sur plus de 180 km de long, atteignent par moment 27 km de large et peuvent s’élever à plus de 300 mètres. Malgré cette apparence aride, une petite rivière alimentée par des sources souterraines longe sur plusieurs kilomètres ces mastodontes de sable, formant ainsi une véritable oasis par la végétation verte et luxuriante qui l’entoure.
Quelques familles nomades vivent en bordure pour les ressources. En plus de posséder vaches, chevaux, chèvres et moutons, elles dressent les chameaux : on dit alors qu’elles ont les 5 museaux. A moto, le gardien s’occupe d’emmener plusieurs fois par jour les troupeaux jusqu’à l’oasis et de les ramener en enclos. Pendant la saison touristique, les familles construisent de véritables complexes de yourte pour accueillir les visiteurs. En échange d'une certaine somme, elles leur proposent un dîner, une yourte pour dormir et un tour en chameau au pied des dunes le lendemain.
Pour ma part, ce soir, c'est la famille du gardien de l'environnement qui m'accueille. Je fais la rencontre de deux femmes, l'une a la cinquantaine et l'autre la soixantaine. Ensemble elles tiennent un complexe de huit yourtes dont six sont destinées aux touristes. Ce soir au menu : intestins de chèvres. Je dois avouer que mes appréhensions lorsque j'en ai pris connaissance étaient fondées... Mais peu importe, il faut se nourrir. Le ventre rempli, c'est sous un ciel aux mille et une étoiles scindé en deux par la voie lactée que je vais me coucher. Demain, je devrais faire la rencontre de l'un des dix chameaux gentils, qui m'emmènera au pied des dunes de sable.
Ce matin, j'ai la chance d'être témoin d'une étape cruciale dans le cycle de vie des nomades. En effet, à l’approche de l’hiver et de la fin de la saison touristique, les nomades se préparent à bouger de l’autre côté des dunes pour se protéger du vent glacial, qui sera bloqué au nord par les dunes et au sud par les montagnes. Ainsi, ils démontent les yourtes une à une, à commencer par celle dans laquelle nous avions mangé la veille.
En deux heures, c’est toute la structure en bois qui est démontée et chargée dans un fourgon, le UAZ. Tapis, meubles, outils, vêtements, objets précieux viennent ensuite combler l’espace restant. Sur les huit yourtes qu’ils possèdent, seuls deux sont transportées de l’autre côté des dunes. Les autres sont rangées dans un abri, et seront à nouveau montées quand la saison touristique recommencera, puis démontées quand elle se terminera, et ce tant que le soleil se couchera et la lune se lèvera.
Suite à cette immersion dans le désert de Gobi, j'ai repris la route en direction de Ulan-Bator, avant de quitter définitivement le territoire quelques heures seulement avant l'expiration de mon visa.