Découverte avec mon ami Victor du Parc national des Pyrénées. Une semaine à parcourir les sentiers de randonnée et photographier le ciel nocturne. Juillet 2021.
Les Hautes-Pyrénées, département français situé au sud du pays, partage avec les Pyrénées-Atlantiques l’un des 11 parcs nationaux de France : le Parc national des Pyrénées. Créé en 1967 dans le but de préserver la beauté des sites et de protéger les espèces végétales et animales, le parc national communique sur plus de 100km avec l’Espagne. Loin des grandes villes, le parc offre un accès au ciel nocturne préservé de la pollution lumineuse. L’été, la position de la Terre par rapport au Soleil permet d’observer la nuit le cœur galactique de notre Voie lactée. La galaxie d’Andromède est également visible à cette période. A la découverte du Parc national des Pyrénées, de ses sentiers de randonnée et de son ciel étoilé, nous partons en fourgon aménagé, emportant avec nous notre matériel de bivouac, de tournage et d’astrophotographie...
Film
« Cette semaine en duo à arpenter les sentiers, gravir les cols, admirer les paysages, observer les rapaces, sentir le souffle du vent, écouter l'environnement, s'enfoncer dans la brume, contempler les astres... nous a procuré la sensation intense d'être ancré dans le présent et la nature. J'espère que cette vidéo vous donnera envie de visiter à votre tour le Parc national des Pyrénées, et si vous l'avez déjà visité, qu'elle vous rappellera de bons souvenirs. »
Équipement
Randonnée, Bivouac | |
Sac de rando (50L) | Lafuma Trech'in 50 |
Bâtons de marche | |
Duvet 1/-5/-22°C (synthétique) | |
Matelas 4 saisons (valeur R : 4,2) | |
Chaussures de marche | |
Photo, Vidéo | |
Caméra / Appareil photo | |
Objectif focale moyenne | |
Microphone | |
Trépied (carbone) avec rotule | |
Astrophotographie | |
Caméra astro refroidie | |
Réfracteur | |
Monture équatoriale | |
Ordinateur de contrôle | |
Aplanisseur de champ | |
Objectif grand angle |
Récit
Samedi 10 juillet
Arrivée dans les Pyrénées et première nuit sous les astres
Après une journée entière à conduire en direction du sud, nous découvrons le Parc national des Pyrénées sous un épais manteau de nuages. La nuit approchant, nous grimpons le col du Tourmalet - célèbre étape du Tour de France - et empruntons un sentier à flan de montagne pour s'installer en hauteur avec l'espoir que le ciel se dégage.
Alors que le soleil s'apprête à passer derrière l'horizon, les nuages se dissipent et dévoilent la chaîne montagneuse derrière laquelle la Voie lactée devrait faire son apparition. Le ciel est limpide, les prévisions météo pour la nuit sont de bon augure, et c'est un jour de nouvelle Lune. Toutes les conditions sont réunis pour favoriser la contemplation du ciel nocturne, et nous permettre de le photographier. Au fur et à mesure que les dernières lueurs du Soleil s'effacent, la lumière des astres commence à nous parvenir. Se dessine alors une trainée blanche, de plus en plus brillante, qui traverse le ciel pour mourir derrière les cimes. La Voie lactée nous salue, et nous la contemplons en retour.
Le cœur de la Voie lactée, marmite d’étoiles qui bouillonne au centre de notre galaxie, ne dévoile son éclat qu’à ceux qui cherchent à l’entrevoir. Visible une partie de l’année seulement, il s’observe entre mai et octobre depuis l’hexagone, période à laquelle la Terre se situe entre le Soleil et le centre galactique. Plus on se déplace vers le sud, plus le cœur s’élève dans le ciel. Dans les Pyrénées, il atteint 20° au-dessus de l’horizon à son paroxysme. En Norvège, il ne dépasse jamais l’horizon tandis qu’en Australie il grimpe jusqu’au zénith.
Alors qu’il parcourt la montagne et se trouve entre deux crêtes, c’est le moment d'immortaliser la scène. A focale plus longue, le temps de pause est réduit pour éviter les filés d’étoiles. Afin de retrouver quelques détails sur la montagne, nous prenons une seconde photo à pause longue, pour les combiner ensemble par la suite. La pureté du ciel nous offre la chance de voir en petit et plein centre de l’image la nébuleuse de la Lagune, nuage de gaz rosâtre où naissent de nombreuses étoiles.
Dimanche 11 juillet
Vallée d’Ilhéou
Après cette nuit étoilée, nous nous rendons dans la vallée des Cauterets où nous prévoyons d'entamer le lendemain matin une randonnée au départ du célèbre Pont d'Espagne. A quelques kilomètres de là, nous empruntons une autre route qui grimpe dans la vallée d'Ilhéou où nous nous installons avec le fourgon.
L’orage est proche. On l’entend gronder, quelque part derrière la montagne. L’air s’agite, l’eau s’écoule vite, les couleurs se ternissent et les nuages s’assombrissent. Le gave d’Ilhéou, qui se forme depuis le pic Arrouy et le col d’Ilhéou, creuse la vallée jour après jour jusqu’à rejoindre le gave de Cauterets quelques centaines de mètre plus bas. Cette nuit, son débit va décupler, accélérant le processus d’érosion.
L’autre indice, ce sont les mammatus qui se forment discrètement au-dessus de nos têtes. Donnant au ciel une allure menaçante, ces nuages en forme de boule présagent souvent un orage violent. A la tombée de la nuit, la brume a engloutit la vallée, rendant imperceptible le moindre objet dans un rayon d’un mètre. Fort heureusement, cette nuit nous sommes à l’abri dans le fourgon.
Lundi 12 et mardi 13 juillet
Lac de Gaube et refuge des Oulettes au départ du Pont d'Espagne
Au réveil, l'air est encore humide et le ciel couvert. Poncho, guêtres, doudounes... on se prépare pour deux jours de randonnée et une nuit fraiche en bivouac au pied du légendaire mont Vignemale qui culmine la vallée du haut de ses 3 298 m.
Sur le chemin, on serpente entre l’hêtre, le sapin et le pin sylvestre. On caresse la fougère, prend appuie sur la terre, passe par-dessus la pierre. On tombe sur un arbre mort géant, couché le long du sentier, qui paraît fossilisé. On arpente des dalles de granite dont la surface est parcourue de grandes veines saillantes, conséquence de l’érosion glacière. Le temps est brumeux, l’ambiance mystique.
A la fois étape du GR10 et haut-lieu de pique-nique en famille, le lac de Gaube attire les foules en haute saison par beau temps. Alimenté par le gave des Oulettes de Gaube qui prend sa source au mont Vignemale, le lac déverse son excédent dans la vallée jusqu’aux cascades tumultueuses du Pont d'Espagne, construit en 1886 pour relier la France à nos voisins ibériques.
Passé le lac, on accède à l’étage subalpin. L’hêtre, le sapin et le pin sylvestre s’effacent, tandis que le pin à crochets dévoile ses aiguilles. Plus ancien pin européen survivant de l’ère glacière, il résiste au froid, au vent, à la sécheresse, au sol acide. C’est le seul arbre à nous montrer le chemin jusqu’au pied du mont Vignemale, où se trouve le refuge des Oulettes, à 2 150m.
Là-haut, la brume nous engloutit et il commence à pleuvoir. Sans plus attendre, nous installons rapidement la tente de Victor, plus résistante et isolante que la mienne. Il fait froid dehors, mais à l'intérieur de la tente envoûtés dans nos sacs de couchage, on se sent bien.
Mercredi 14 juillet
Cirque de Gavarnie par le Plateau de Bellevue
Après une nuit au camping dans le village de Luz-Saint-Sauveur, nous prenons la direction de la vallée de Gavarnie-Cèdre, connue pour ses nombreux cirques creusés par l'érosion des glaciers. Le plus réputé d'entre eux porte le nom de la vallée : le cirque de Gavarnie. Une immense cascade, haute de 422 mètres, plonge en son coeur et donne naissance au gave de Gavarnie.
Aujourd'hui on se prépare pour une demi-journée de randonnée. A partir du village de Gavarnie au fond de la vallée, nous entamons une boucle jusqu'au cirque en passant par le plateau de Bellevue. Perché à 1700 mètres d'altitude, ce dernier offre un magnifique point de vue à hauteur de la cascade sur ce que Victor Hugo appelait dans un poème le « colosseum de la nature ».
Là-haut, nous contemplons la vue sur la vallée et la cascade, et observons quelques rapaces caressant les nuages au-dessus de nos têtes. Si la vue est déjà grandiose d'où nous sommes, ces animaux du ciel n'ont rien à nous envier. En fond sonore, c'est un concert de cloche qui vient résonner contre les parois rocheuses. Sur ce plateau les vaches passent leur temps le museau dans l'herbe fraîche.
La descente se fait à l'ombre, sous le feuillage des arbres. Ce chemin est peu fréquenté et non balisé, nous nous perdons un moment, mais le bruit du gave qui traverse la forêt nous permet de retrouver le sentier. Enfin, nous atteignons la voie principale qui nous mène jusqu'au cirque. A notre arrivée, la position des nuages par rapport à la cascade donne l'impression que celle-ci prend sa source dans la brume. Comme si le cirque était entrain d'aspirer le ciel.
Jeudi 15 juillet
Brèche de Roland et glacier du Taillon au départ du col de Tentes
Après avoir passé la nuit dans la brume à 2200 mètres d'altitude, nous engageons le pas au départ du col des Tentes avec l'intention d'atteindre la frontière franco-espagnole au niveau de la Brèche de Roland.
Cette ascension présente plusieurs passages difficiles, donc la cascade du glacier du Taillon qu'il nous faut gravir. Alors que nous atteignons le col des Sarradets, voilà qu’on aperçoit pour la première fois la Brèche de Roland. Jusque là, il était impossible de la voir, dissimulée derrière des couches et des couches de granite à parcourir. Au même instant, la grande cascade du cirque de Gavarnie fait son entrée en scène. Avec ses 423 mètres de hauteur, impossible de la rater ! C’est la plus haute chute d’eau de France métropolitaine quand même.
Entre les deux, le refuge de la brèche de Roland se fait discret… Se fondant dans la roche, il voit le jour en 1956 avec une capacité initiale de 60 places (90 aujourd’hui). Avant ça, les excursionnistes qui bivouaquaient dans le secteur se contentaient de l’abri Gaurier, une cavité naturelle se trouvant sur le versant espagnol qui porte le nom de son découvreur l’abbé Ludovic Gaurier. C’est après avoir passé une nuit glaciale à la Brèche de Roland lors de sa tentative infructueuse de l’ascension du Mont Perdu à skis, qu’il se mit à chercher un abri naturel et le trouva en 1906.
Roland, c’était un guerrier franc du VIIIe siècle. La légende raconte que, pris en embuscade avec ses hommes par les Sarrasins, il se retranche contre la falaise qui sépare le Pic du Taillon du sommet du Casque. Blessé à mort, il décide de briser son épée légendaire Durandal plutôt que de la laisser à ses ennemis et la jette contre la barrière rocheuse. Mais à la place de lame, c’est la montagne qui se brise et ouvre une immense brèche dans la falaise, aujourd’hui point de passage entre la France et l’Espagne.
Après 3h de marche nous atteignons le creux de la Brèche de Roland, offrant alors une vue panoramique à double sens. Au sud les terres ibériques aux couleurs ternes s'étendent à l'horizon, tandis qu'au nord les cimes françaises s'entrechoquent en direction du ciel. Ce jour-là, nombreux sont les randonneurs à emprunter ce passage entre nos deux pays. Pour notre part, nous n'irons pas plus loin. Doucement mais sûrement, nous revenons sur nos pas, jusqu'à retrouver le fourgon.
Nuit au lac des Gloriettes
Situé aux portes du Cirque d’Estaubé, le lac des Gloriettes s’est formé il y a 10 000 ans à la fin du Pléistocène, époque géologique marquée par la glaciation de Würm qui dura 100 000 ans. Dans les années 1950, un barrage est construit en amont de l’émissaire du lac, surélevant son niveau de quelques mètres. Le tour du lac se fait en 1h de marche, en passant sur le barrage.
Accessible par la route, on s’y installe avec le fourgon au coucher de soleil. Nous sommes loin d’être les seuls à avoir eu cette idée, de nombreuses familles sont venues camper. Autour du lac, la montagne s’ouvre au nord et au sud. Si les conditions météo le permettent, il est alors possible d’avoir la Voie lactée et le lac dans le même champ. Mais à la nuit tombée, la brume nous engloutit….
Dans un dernier élan d’espoir, on programme un réveil au milieu de la nuit, au cas où… et quelle chance ! On entrouvre à peine la porte coulissante du fourgon qu’un ciel flamboyant se dévoile à nous. Sans plus attendre, on se saisit de notre matériel astro qu’on porte avec nous jusqu’au bord du lac du côté nord. Le silence est total, le temps semble s’être arrêté.
La scène est saisissante. Le lac entouré par la montagne s’ouvre sur la voûte céleste et la Voie lactée. Le cœur galactique surplombe au loin le Cirque d’Estaubé, et se reflète à la surface du lac. Aucun signe d’activité humaine, aucun bruit, aucune lumière artificielle. Rien. Seulement la nature, intemporelle, face à laquelle deux humains s’émerveillent.
Vendredi 16 juillet
Dernière nuit d'astrophotographie
En cette dernière nuit au coeur du Parc national des Pyrénées, nous nous rendons à notre spot initial, priant les cieux que les conditions soient bonnes.
Il est 23h15 quand Jupiter dépasse l’horizon. 23h45 quand le crépuscule astronomique prend fin. Le ciel est pur, presque entièrement préservé de la pollution lumineuse des grandes villes. Nous en sommes loin. En contrebas, quelques lumières émanant d’un village éclairent discrètement la montagne d’en face. À mesure que le temps s’écoule, la Voie lactée et Jupiter grimpent dans le ciel.
Il est bientôt 01h30, Jupiter et le cœur de la Voie lactée s’apprêtent à s’aligner à une hauteur de 20° au-dessus de l’horizon. C’est le moment d’immortaliser la scène. L’appareil photo installé sur le trépied en position verticale, j’ouvre le diaphragme au maximum, augmente la sensibilité du capteur et règle le temps de pause à 15 secondes. Deux secondes de retardataire, puis 15 secondes à rideau ouvert, et de l’obscurité de la nuit apparaît, comme si un interrupteur avait allumer le ciel, un milliard d’étoiles. La planète Jupiter, positionnée dans le prolongement de la montagne, renvoie de manière flamboyante la lumière du Soleil. De gauche à droite, j'oriente mon appareil photo pour parcourir l’horizon et capturer le reste de la scène. Deuxième, troisième, puis quatrième prise, et c’est au tour de la Voie lactée de briller d’une myriade de perles de feu.
Chaque photographie contient un bout du spectacle céleste. Pour le reconstituer, j’utilise un logiciel informatique qui se charge d’assembler les photos. Après quelques réglages de luminosité et de couleur, en voici le panorama…
Joyau du ciel nocturne, la galaxie d’Andromède suscite la passion des atrophiles qui se délectent à l’observer et la photographier. Large de 220 000 années-lumière, sa taille apparente vaut six fois celle de la Lune. Plus proche voisine à spirale de la Voie lactée, elle est accompagnée de ses deux galaxies naines qui gravitent autour d’elle. La lumière de ses mille milliards d’étoiles qui nous parvient de nos jours a été émise il y a 2,5 millions d’années, quand les premiers hommes foulaient les terres d’Afrique.
Capturer ces photons préhistoriques à notre époque est rendu possible par la science et la technologie. Notre équipement se résume à un trépied, une monture équatoriale, un réfracteur, une caméra refroidie et un système de guidage. On commence par procéder à l’alignement polaire de la monture, appareil motorisé qui compense la rotation de la Terre pour maintenir l’objet visé fixe. On assemble ensuite le réfracteur, la caméra et le système de guidage qu’on installe sur la monture.
Après avoir réglé la netteté, visé la galaxie et paramétré le système de guidage, on abaisse la température du capteur à -10°C pour réduire le bruit thermique. Étant aléatoire, on prend une série d’images qu’on empilera après avoir soustrait un dark, méthode classique pour augmenter le rapport signal/bruit d’un objet à faible magnitude. Au total sur deux nuits, on a collecté 4h de signal. Après un traitement informatique sur PixInsight, voici le résultat obtenu :
D’ici quelques millions d’années, on pourra contempler Andromède avec plus de facilité… Nos deux galaxies sont destinées à entrer en collision pour ne former plus qu’une seule et même galaxie, appelée Lactomède.