Tour des Bauges
- Julien Perret
- 9 août 2022
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 12 mars
En août 2022, je me suis rendu dans le massif des Bauges pour 6 jours de randonnée en autonomie sur le GRP. De cette itinérance, j'ai réalisé une vidéo complète, rapporté des photographie et écrit une ode à la montagne.

Vidéo
Itinéraire
Massif des Bauges, Savoie. Boucle de La Féclaz à Les Déserts.
6 jours du 9 au 14 août 2022.
Récit
Le monde d’en haut est mon éden. D’un esprit encombré je me déleste à son entrée. La notion du temps change. Il ne se compte plus. Le passé est oublié et l’avenir n’appartient qu’à lui-même. Seul l’instant présent demeure, libéré du carcan du temps, dilatant les secondes en heures. L’espace, lui, en est réduit. Il se limite à la portée de mon regard, un cercle de quelques kilomètres autour de moi. Le monde auquel mes sens ont accès est considérablement restreint, et pourtant ceux-ci en sont décuplés, canalisés par mon environnement. Ici et maintenant sont les seuls marqueurs de l’espace et du temps qui ont un sens. La contrepartie pour atteindre cet état de conscience ? Pour ma part, elle se mesure en kilogrammes. 25, pour être précis. C’est le poids à porter. Alors sans plus attendre je troque mon bazar crânien pour ma tente, mon réchaud et mon appareil photo. Ceux-là, j’aime mieux les porter, ils me paraissent moins lourds. Ou peut-être est-ce, de lui et mon esprit, mon corps le plus fort.
Pour atteindre le monde d’en haut, il faut s’élever au-dessus des villes, quitter le tumulte des hommes. D’abord, s'engouffrer dans la forêt qui borde la route et qui s’élève comme un rempart entre les deux mondes. Suivre le sentier qui la traverse. Entendre les feuilles bruisser sous ses pas. Les oiseaux chanter. Le vent siffler entre les arbres. Déboucher sur un pré à l’herbe couchée et aux fleurs colorées. Puis s’enfoncer à nouveau dans la forêt, enjamber un arbre mort, éviter de justesse de fourrer son pied dans une fourmilière, sursauter au sursaut d’un écureuil assoupi et s’amuser du jeu d’ombre et de lumière auquel soleil et forêt se livrent avec entrain. Du bois, déboucher cette fois sur un alpage où paissent tranquillement veaux et vaches. Écouter les sonnailles tinter au rythme estival. Se glisser dans l’ornière qui mène à la bergerie et, à son approche, en bondir fissa sous un tonnerre d’aboiements peu amical. Arpenter alors le pré et suivre la pente ascendante. Faire grimper l’altimètre, encore et encore, jusqu’à ce que la roche prédomine les lieux, et enfin se hisser sur la crête, au sommet de la forteresse naturelle.
Là-haut, je trouve le calme, le silence, la sérénité. Le bien-être m’envoute comme on s’éprend d’une femme. Il est doux, passionné, fragile. Je n’ose respirer trop fort, de peur qu’il ne s’envole. Il s’accompagne de lumières chaudes, celles du soleil couchant. Le bien-être et moi, on en profite pour monter la tente et faire cuire un lyophilisé tandis que de ses crêtes en forme de dents géantes, l’horizon grignote à petit feu l’astre doré et libère sa compagne argentée. Le monde d’en bas s’endort, et avec lui le vacarme mécanique. La nuit s’installe, le chant des grillons s’éveille en même tant que s’allument les étoiles. Sous la toile de ma tente, j’écoute l’herbe fredonner et le vent se balader, et à mon tour je m’endors, le sentiment heureux d’y être enfin, dans le monde d’en haut.
Au matin, je me réveille doucement à la lumière du jour. Je découvre ce nouveau monde comme un marin échoué sur une île déserte. Les formes, les bruits, les odeurs… mes sens n’en sont pas familiers. Il faut tout réapprendre. Réapprendre à poser le regard, tendre l’oreille, capter les arômes. A lire la nature. Sac-à-dos sur les épaules, je pars l’explorer. Dans l’effort de la marche, je ressens jusque dans mes muscles, dans mon souffle, l’aspérité du terrain, la grandeur de la montagne. Chaque pas doit être précis, le corps en équilibre, l’attention totale. La sensation de ne faire qu’un avec l’environnement, de lui appartenir pleinement, parcours tout mon être. Au moindre bruit dissonant, je m’immobilise, aux aguets. Je plonge mon regard en direction de l’irrégularité. Tantôt l’irrégularité prend la forme d’une boule de plumes perchée à une branche, tantôt celle d’un rongeur au poil roux amateur de graines de conifère. Le plus souvent, elle demeure discrète, se faisant l’écho de mon passage. Alors je reprends le mouvement, la poitrine haletante, les sens en ébullition.
Par endroit, mon regard s’évade. Il parcourt l’horizon, grimpe les cols, chevauche les arêtes, se frotte aux glaciers des plus hauts sommets, plonge dans la vallée, s’aventure dans les champs, les forêts, les rivières, puis bondit et attrape un rapace en plein vol, le perd dans la lumière aveuglante du soleil et redescend sur terre, titubant d’ivresse, d’overdose de beauté. Sur mon chemin je croise ici un refuge, là une bergerie, là-bas une chapelle, le plus souvent accompagné d’un point d’eau pour les besoins du gardien, du berger et du pèlerin. Le soleil au zénith, je m’abrite à l’ombre d’un arbre et pique une sieste après un déjeuner sommaire, chapeau sur le museau, muscles détendus, bercé par le bruissement des feuilles. Ravigoté comme un nouveau-né, je poursuis ma route au travers des forêts, des bourgs et des collines. Chaque seconde écoulée et chaque mètre parcouru façonne le paysage, altère la lumière, fait naître des singularités. Le mouvement perpétuel grave ma rétine d’un arc-en-ciel de couleurs, frappe mon tympan d’une myriade de mélodies et parcourt mon corps de sensations divines. Le monde se renouvelle, seconde après seconde, mètre après mètre, jusqu’à ce que le soleil, lui aussi arrivé en fin de parcours, sonne l’heure d’établir un campement. Au bord d’une rivière, au sommet d’une montagne ou à l’orée d’un bois, l’expérience est chaque fois unique. Au crépuscule, parfois, le silence est absolu et l’environnement inanimé, comme si l'aiguille du temps s’était synchronisée au rythme de mes pas, et qu’il eut dut marcher à nouveau pour la relancer. D’autres fois, le murmure de l’eau, le bruissement du vent ou le chant des cigales rappellent que l’aiguille tourne toujours. Et plus rarement encore, de la crête à l’ordinaire impassible se détache parfois une silhouette aux cornes fines et à la corpulence gracile, accompagnée d’une autre silhouette plus petite. Une mère et son enfant, qui profitent des dernières lumières pour trouver un coin où passer la nuit, et renaître à nouveau, autant de jours qu’il leur sera donné.
Comme ce monde d’en haut est beau. Il me tarde un peu plus chaque jour de le retrouver.
Photographies
Étape 1
De La Féclaz à la Tour des Ébats
Étape 2
De la Tour des Ebats à Arith
Étape 3
De Arith à Doucy-en-Bauges
Étape 4
De Doucy-en-Bauges au Mont de la Vierge
Étape 5
Du Mont de la Vierge au Col de la Verne
Étape 6
Du Col de la Verne à Les Déserts
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